Un libraire

C’était un libraire de « haute lignée » : de ceux qui lisent, ce qui, aussi étrange que ça puisse paraître, devient rare. Je veux dire : qui lisent au-delà de là où on leur dit de lire. Ceux sur lesquels ont « déteint les pages innombrables des siècles de littérature avant nous » et qui savent « faire palpiter une librairie » comme un cavalier virtuose fait danser son cheval. Découvreur, conseiller, passeur, passionné, c’était un de ces artisans sans lesquels les écrivains, surtout les peu marketés, n’auraient plus qu’à pointer à la morgue. C’était Jacques Allano, libraire fondateur du « Pain des rêves » à Saint Brieuc, qui s’est suicidé le 16 mai 2020, ne se remettant pas d’avoir été, par le confinement, considéré comme « non essentiel » et privé de son métier comme un poisson arraché à l’eau.
« Comme une noyée reprend de l’air en surface, au dernier moment », Mérédith Le Dez, qui fut sa « sœur de livre », dominant son chagrin, lui écrit des lettres le faisant entrer chez nous en vieil ami, discret et captivant. Vaguant dans leur solide complicité, elle nous mène au cœur de ce « désordre savant » qu’est une librairie d’amoureux des livres. Elle nous fait partager leurs fringales communes et rencontrer les figures attachantes d’une très délicate confrérie. Car ce livre est aussi un hommage à tous les libraires qui le sont vraiment, contre vents et marchés ; ceux qui font « battre le pouls des villes » et sans lesquels l’humanité s’asphyxierait totalement : les « essentiels ».

Mérédith Le Dez, Un libraire, Philippe Rey, 140 p. 16 €, ISBN 9782848768915.